vendredi 24 septembre 2010

Accessibilité réservée

J'ai un abcès. De sensibilité. Sans même les toucher, les visages m'ont enseigné que c'était un art d'être en chemin avec la réalité. J'ai souvent cru que j'avais épuisé tous les possibles, qu'engoncée dans mon vieux tricot d'idéaux, je ne risquerai pas d'atteindre la porte tout là-haut. Mon abcès me rend bedonnante, en décalage avec les règles qui dictent l'esthétique d'un cerveau bien fait, en contretemps avec la beauté toute intelligible d'une suite arithmétique qui témoignerait de ma rentabilité sociétale. Je me suis vu lécher une carrière artistique, voire diplomatique, et vive les zygomatiques, obscure goujaterie de mon abcès qui a trop souvent suinté pour pouvoir embrasser la facilité. Pas de traitement de faveur, un manque d'habilité m'a fait perdre la troisième balle, j'en ai reçu une quatrième en plein cœur, point de trêve pour les deux premières que je garde en mains sans pour autant savoir jongler. Je me suis souvent cassé la voix, à trop vouloir atteindre l'autre rive sans avoir mesuré la largeur du fleuve et ses remous pas toujours engageants.

Et j'ai vu votre visage. Mon abcès a dégonflé mais j'ai toujours la même rage. Voulez-vous bien m'offrir le moyen de desserrer les poings pour que je puisse serrer l'air du temps, l'art de vivre, l'air de rien, juste comme ça, parce que je le vaux bien ?

Et j'ai revu votre visage. Ses traits me paraissent tout à fait affables, auriez-vous l'amabilité de m'accepter à votre table ? Par accès d'orgueil, j'ose vraiment y croire. Mais mon abcès suinte à nouveau, un jus de sensibilité excessive conjugué à de l'espoir, pas toujours facile de mélanger les pommes et les poires. Allez, le chemin n'est pas encore tracé, même si j'ai déjà mal aux pieds. Allez, je rêve de moyens pour m'aider, les mains vides, à retirer le caillou qui se cache dans ma chaussure. Ce ne sont pas mes chaussures qui me font mal. Mon abcès m'a appris à bien me chausser. Question de sensibilité.

Allez, en avant, passager d'un bus ou piéton de l'impossible, je suis en droit de demander plus qu'un édit.

Et vos visages se reflètent de plus en plus sur le mien, mais c'est dans la gorge que demeure l'abcès.

Allez, crache tout rejet gastrique, c'est la vie, ses fantaisies, ses mimiques, ses impasses, ses interdits, mais rien de plus rassurant que les moyens d'arriver à bon port. Accès… réservé.

Virginie SIMARD

Fermer les yeux

On fermera les yeux. Ne pas se dire que, comme tout un chacun, on trappériplera avant l'heure. La machicouleuvre est en route, l'hymen a été depuis longtemps farouchement jamarrandé, offrande ultime d'une conscience en éveil, sans pour autant faire de plan sur la comète. Nous avons les yeux fermés. Nous nous parfumons d'effluves de sépala, pour mieux combattre les relents d'ennui d'une vie qu'on ne sait pas toujours saisir. Notre amerssion prend souvent le dessus sur le carpe diem pourtant si bien entendu mais les yeux fermés, c'est le temps qui se dérobe, plus d'images synchronisées, juste un aveu d'inclinaison face aux secousses sismiques et systémiques.

Mais aussi rouvrir les yeux. La machicouleuvre emprunte des chemins sinueux et incertains, mais garder les yeux ouverts aussi, pour mieux les reposer en les fermant sciemment et humblement. La vie nous offre un titanesque amourcier rempli des meilleures confiseries comme des baies les plus nocives, il en faut des yeux pour ne pas se perdre dans ce garla de codes, de savoir-faire, d'idées préconçues et premières, d'idéaux que l'on aimerait partager pour ne pas être aveuglé et ne plus savoir garder les yeux ouverts. Alors on rit, on pleure, on vénère surtout la péripépistolarité et ses fièvres salvatrices. Et on les garde enfin, pour de bon, les yeux fermés mais les sens un peu plus en éveil, comme pour mieux entendre, sentir, ressentir à nouveau ce qui a été jamarrandé uniquement pour nous donner un peu plus de légèreté, de disponibilité, d'humanité peut-être. En tout cas pour mieux accepter un battement incongru de nos paupières, un arrêt dans le rythme imposé et rassurant du garla de notre existence.

La porte reste ouverte. Après on fermera définitivement les yeux. En se souvenant qu'il n'y a pas que du rêve derrière une pupille, et encore plus sur la cornée de l'humanité.



Virginie SIMARD
24/09/2010

vendredi 10 septembre 2010

Accessibilité et pesanteur

Comme suspendue au monde, je lançais ma ligne. Une écriture inaboutie et balbutiante tendait à me définir. Le sujet était souvent en suspension, ses contours un peu flous, l'objet demeurait vacillant, inaccessible complément pour un organisme manquant trop souvent de consistance dans sa digestion des microparticules environnantes. Quant au verbe, ah, le verbe, décidé, ça y est, volonté, bien affirmée, déterminé, allez, faut y aller, mais parfois aussi fatigué, découragé, voire désespéré d'avoir perdu les clés. Pas de fioritures stylistiques, pas d'envolée lyrique, juste un petit doigt levé, timide interpellation à la réalité et ses pseudos lignes droites et bien pensantes. Les interlignes n'obéissent pas aux mêmes règles, fleurs de rhétorique inaccessibles aux esprits conformistes, le firmament ne s'étant pour autant pas privé de lancer d'innombrables confettis esseulés.

Je continue à lancer ma ligne. Le papier sur lequel j'écris a été réduit en mille morceaux, même plus de quoi trouver mon titre de transport. Question d'accès au monde comme dernière goutte d'eau pour le condamné assoiffé qui se transformerait alors en simple et digne invité.

Vous avez dit accès refusé ? Pas besoin de réservation, pas de départ anticipé, ni forcément de destination rêvée. Juste un besoin d'accessibilité. Au monde, aux autres, à la vie partagée. Un peu comme en rêvait déjà mon père quand il était jeune homme et que le monde auquel il était pourtant bien suspendu se dérobait déjà face à sa fatale pesanteur.

Vous avez dit accès fermé ? Si la porte est ouverte à certains, d'aucun ne peut me réduire au tunnel sans lumière. Une sortie de secours doit bien exister. Et ce n'est pas que mon père qui me l'a enseigné. Alors je chausse l'espoir d'y arriver, de colorer mes lignes d'appétit rassasié, de continuer, simplement parce qu'il faut continuer. Et ce n'est pas mon père qui me contredirait, on peut rêver de confettis entremêlés, il aimait tant à me le répéter, ce n'était pas seulement un rêve inaccessible : les confettis, grain de riz qu'il était, il était tombé dedans quand il était petit.


Virginie SIMARD
10/09/2010